Comment trouver son sujet de thèse en médecine ?

La rédaction d’une thèse en médecine est un passage obligé dans la vie de tout interne. Pourtant, choisir le bon sujet de recherche est souvent l’une des étapes les plus complexes. Si beaucoup d’internes sont tentés de choisir un sujet qui les passionne, ce choix peut parfois s’avérer trompeur. Cet article vous guidera à travers les réflexions nécessaires pour choisir un sujet de thèse pertinent et constructif.

1. Choisir un bon sujet de thèse, c’est déjà la moitié du travail réalisé

Un bon sujet de thèse est un sujet qui va parler à vos pairs, qui répondra à un vrai problème de terrain. Il ne révolutionnera pas forcément les choses, mais il aura de l’écho.

Prenez ces 2 titres de thèses :

A – Ressenti des praticiens vis-à-vis du Beyfortus : diffusion d’un questionnaire

B – Identifications et quantification des facteurs permettant de réduire le temps passé aux urgences : étude prospective

Le sujet A semble tout droit sorti de la méthode entonnoir (voir plus bas). Le sujet n’est pas forcément inintéressant (freins, réticences à l’administration ?) mais donne le sentiment d’être une énième version du « XXX : questionnaire sur freins et leviers ». C’est un sujet qui mérite probablement une approche qualitative avec entretiens. Se rabattre par facilité sur des questionnaires montre un manque d’investissement et mènera à une impasse méthodologique. Le titre ne laisse pas présager le problème visé. Les débouchés de cette étude seront probablement faibles/inexistants.

Le sujet B s’attaque à un problème de grande ampleur présent dans tous les CH de France. On comprend tout de suite où on va : identifier et quantifier ces facteurs et donc savoir sur quoi agir pour améliorer la situation. Le caractère prospectif démontre un investissement supplémentaire (mais doit être justifié).

Avec le sujet A, vous partez d’office avec un handicap. Vous aurez du mal à mobiliser les ressources nécessaires pour arriver à vos fins. On peut notamment imaginer que :

  • Le taux de réponse au questionnaire sera probablement faible et les réponses seront biaisées (non adapté à un questionnaire, réponse sensible)
  • Les réponses ne permettront pas de répondre à la question : un questionnaire permet de quantifier. Ici le phénomène à mesurer est rare. On s’attend plutôt à lister les freins qu’à les quantifier -> privilégier une approche qualitative
  • Il sera difficile d’impliquer un statisticien/méthodologiste (potentiel publication faible) et plus largement votre directeur de thèse ou tout relecteur

Avec le sujet B, vous savez dès le départ que votre service sera impliqué dans l’étude. En travaillant sur ce sujet c’est un service que vous leur rendez, et il est probable que l’équipe vous le rende en s’impliquant dans le recueil, la relecture, etc. Etant donné les enjeux, ce sujet sera également attendu par les autres services et la direction de l’établissement. Vous ne devriez pas avori de difficulté à impliquer un méthodo-statisticien sur un tel sujet.

Même si le sujet B semble être plus complexe à mener, l’implication des différents acteurs le rendra bien plus facile et agréable à mener.

Bon, mais concrètement, comment on le trouve ce sujet de thèse ?

2. Trouver un sujet de thèse : Quelle Méthode utiliser ?

Annonçons tout de suite la couleur : sauf coup de chance, vous devrez probablement identifier plusieurs sujets avant d’un trouver un qui vaille la peine d’être exploré. Parfois l’idée est bonne mais non réalisable : manque de temps, de moyens, difficulté réglementaire, effectif à inclure trop important… les obstacles peuvent être nombreux.

Mais comment trouver ces sujets ?

La Méthode Entonnoir

Commençons par ce qu’il ne faut surtout pas faire. La méthode entonnoir est celle qui est la plus enseignée. Pourtant elle vous mène droit dans le mur !

Elle consiste à opérer comme ceci :

1- Je choisis un thème que j’apprécie (ex : le véganisme)
2- Je précise le domaine en m’engageant dans une niche (ex : l’observance de la supplémentation en acide folique chez les vegans)
3- Je formule une question de recherche sur cette niche

Alors certes, en procédant de la sorte vous allez bien trouver une question de recherche. Mais à quoi peut bien rimer cette question ? L’objectif de votre thèse est de vous amener à réfléchir sur un problème en lien avec vos pratiques. De vous fournir des outils pour apprendre, plus tard, à régler vous même les problèmes que vous rencontrez.

Avec cette méthode vous risquez :

  • de tomber dans l’effet de mode. Lorsque vous sélectionnez un thème puis une niche sur la base de vos affinités, vous prenez le risque d’avoir la même niche que beaucoup de vos co-internes par effet de mode. En 2014 ce sont 18 internes de MG qui m’ont contacté pour un accompagnement de thèse sur le véganisme. Aucune de ces thèse n’avait un débouché d’intérêt. En 2024 c’était le BEYFORTUS. Toutes ces thèses étaient en plus très similaires. Imaginez l’accueil réservé par le jury qui a vu ce thème traité et retraité alors qu’il ne représente qu’une infime partie de l’exercice.
  • d’aboutir à une question qui n’a aucun intérêt. Votre thèse doit servir à quelque chose. Chercher à tout prix à « trouver un problème » en lien avec votre niche n’a pas de sens. L’exercice médical regorge de défis au quotidien, pourquoi ne pas s’en saisir plutôt que d’inventer un faux problème ?
  • de n’avoir aucune donnée à recueillir. En précisant votre question jusqu’à tomber dans une niche, vous réduisez le nombre de patients concernés par votre question.
  • de ne pas réussir à impliquer vos pairs, méthodo-statisticien car ils ne se sentiront pas concernés par votre sujet.
  • de ne pas savoir comment rédiger votre manuscrit. Comment justifier ce choix de sujet dans votre Introduction ? Comme conclure sur une question qui n’a pas de sens et pour laquelle vous n’avez pas trouvé de données suffisantes ?
  • de manquer cruellement de motivation pour avancer. Car vous aurez toujours ce sentiment d’un travail qui manque de sens et qui n’est pas dirigé par la volonté de répondre à un problème concret.

La Méthode SF (Sévérité-Fréquence)

A la place, je vous propose la Méthode SF (Sévérité-Fréquence). C’est un dérivé de méthodes de priorisation qui ont fait leurs preuves dans les science sociales et dans le monde de l’entreprise. Ca marche à tous les coups, au risque d’avoir trop de sujets et de ne plus savoir lequel prendre !

  1. Commencez par vous munir d’un carnet et d’un crayon. Faites en sorte de toujours les avoir sur vous pendant 1 semaine. Que ce soit pendant vos heuires postées ou sur votre temps de repos.
  2. Mettez en place le réflexe suivant : à chaque fois que vous rencontrez une difficulté en lien avec votre exercice, notez la sur ce carnet. Ne réfléchissez pas trop à la formulation, notez comme cela vous vient. Ne mettez aucune barrière à ce que vous notez : problème relationnel, interruption de tâche, notez-le même si ça n’est pas directement en lien avec votre discipline.
  3. A la fin de la semaine vous devriez avoir une liste TRES longue. Ca n’est pas le cas ? Voyez plus bas mes conseils pour faciliter vos recherches. Reprenez cette liste et opérez des regroupements entre ceux qui vous semblent être la conséquence d’une cause commune.
  4. Vos problèmes regroupés, attribuez à chacun d’entre eux 2 notes (de façon subjective):
    • notez sur 5 points la fréquence du problème. 1 = anecdotique, ne se reproduira probablement jamais, 5=systématique (ex : à chaque consultation)
    • notez sur 5 points la sévérité du problème (pour vous ou le patient). 1 = minime (ex : interruption de tâche). 5=conséquence irréversible et grave (ex : décès du patient, traumatisme majeur pour le soignant)
  5. Représentez ensuite ces problèmes sur un graphique à 2 dimensions comme ceci :
    Classification des problèmes
  6. Explorez ensuite vos problèmes sous cet angle :
    • Oubliez d’office les problèmes de la zone D (rares et bénins) qui ne sont pas prioritaires
    • Les problèmes de la zone A (fréquents et sévères) sont généralement à éviter également. Ces problèmes sont probablement déjà identifiés. Et s’ils sont encore présents c’est soit que personne n’a trouvé de solution malgré leur fréquence et leur sévérité, soit que votre lieu de stage n’est pas des plus appropriés pour y mener vos travaux de thèse :D ! Voyez tout de même quels sont les éléments de réponses de vos pairsà leurs sujets car ces problèmes méritent votre attention. S’il s’agit de problèmes a priori sans solution, une revue de la littérature peut parfois s’envisager.
    • La zone B (sévères mais peu fréquents) peut donner lieu à des thèses d’intérêt. Il faudra cependant porter attention à l’effectif mobilisable. Si votre problème est trop peu fréquent vous risquez de manquer d’effectif pour une thèse qualitative. Auquel cas il faudra envisager le case report (mais à valider ++ en amont avec votre directeur de thèse) ou une approche qualitative
    • La zone C (fréquents mais peu sévères) est un magnifique terrain de jeu pour votre thèse ! Ce sont les petits tracas du quotidien qui sont responsables des grands burnouts lorsqu’ils s’accumulent. L’homme a pourtant tendance à se focaliser sur les problèmes qui font plus de bruit (A et B), laissant parfois les problèmes de la zone C prendre des proportions extrêmes. Non seulement ces sujets sont sous exploités, mais ils sont plus souvent solubles dans le cadre d’une thèse.

Je ne trouve pas assez de problèmes avec cette méthode

Ne pas trouver de problème reviendrait à dire que votre exercice se déroule de façon idyllique. Il y a forcément un élément qui mériterait d’être amélioré dans votre quotidien. Il arrive que nous ne soyons pas réceptifs à ces problèmes. L’exercice médical pouvant être rude et sans levier pour résoudre certains problèmes, nous finissons parfois par les oublier, à voir le monde avec des oeillères. Essayez d’être plus à l’écoute de votre propre ressenti. Vous pouvez également poser la question à vos co-internes ou vos seniors : « Aujourd’hui dans ce service/cabinet, quels sont les problèmes que tu/vous rencontres(ez) au quotidien ? ». Privilégiez les échanges individuels qui font souvent remonter des problèmes plus variés.

Pourquoi cette méthode marche ?

Cette méthode part de problèmes constatés sur le terrain. Donc elle maximise vos chances de trouver un sujet concret qui fera écho auprès de vos pairs et dont l’utilité est indiscutable. Vous maximisez aussi les chances de collaborations (implication de l’équipe, d’un méthodo-statisticien, de votre directeur de thèse, etc). Le problème ayant été constaté et à plusieurs reprises, il facilite l’identification de sujets à fort potentiel patient (effectif important). En identifiant vous même ce problème, vous allez naturellement poser des questions à votre entourage et rapidement saisir ses tenants et aboutissants. Se faisant vous n’aurez aucune difficulté à rédiger une bonne Introduction qui dresse le tableau et justifie le choix du sujet (réutilisez notamment les arguments de fréquence et de sévérité).

Cerise sur le gâteau : à la fin de votre thèse vous serez peut-être débarassé(e) d’un problème qui parasitait votre quotidien !

Après la sélection des sujets : les filtres

Comme je le disais, mieux vos avoir plusieurs sujets de thèse sous le coude. Car beaucoup de bonnes idées ne verrons jamais le jour car non réalisables. Avant de débuter quoi que ce soit, votre idée devra survivre aux filtres suivants :

  1. Etat des lieux de la littérature : est-ce que votre question a déjà une réponse ? ou votre problème une solution ? Rien de plus rageant que de devoir arrêter un étude en plein milieu parce qu’on vous fait remarquer que ça a déjà été fait (parfois même en mieux). Privilégiez les revues systématiques et méta-analyses s’il y en a pour gagner du temps. Cette étape vous permettra également de préparer votre biblio et d’affiner votre question, votre méthodo.
    Attention, si cela a déjà été fait, est-ce que ces études ont répondu à toutes les questions ? N’hésitez pas à regarder en fin d’étude les ouvertures rédigées par les auteurs : elles sont sources de bonnes idées portées par des professionnels qui connaissent bien la question.
  2. Validation préalable par vos pairs / directeur de thèse : assurez-vous que votre service/cabinet et votre directeur de thèse sont d’accord pour que vous exploreriez le problème que vous avez identifié. A ce stade votre projet est une ébauche. Discutez de ce que vous avez trouvé dans la littérature et rcueillez les critiques.
  3. Commencez à rédiger la méthodologie : si possible entourez-vous d’un méthodologiste +/- statisticien DES CETTE ETAPE. Allez-vous mener une étude qualitative ou quantitative ? Quels seront vos ctritères de jugement ? Discutez de ces points avec le méthodologiste et les soignants.
  4. Evaluez la faisabilité : de votre méthodologie découlera directement la faisabilité de votre étude. Les ressources matérielles et humaines sont elles suffisantes ? Faut-il prévoir un budget pour votre étude (appels d’offre ?) ? De combien de sujets aurez vous besoin (calcul d’effectif à discuter avec le méthodo-statisticien) ? Votre service a-t-il une file active de patients suffisante ? Les démarches réglementaires sont-elles compatibles avec vos deadlines ? (ex : certains types d’études impliquent des délais réglementaires incompressibles)
  5. Rédiger un premier jet de protocole (Introduction + Matériel + Méthode + Résultats attendus) et valider le sujet avec votre directeur de thèse
  6. IMPORTANT : la plupart des facultés de médecine françaises ont mis en place des portails de dépôt de sujet de thèse ou réunions. Ces procédures sont prepres à chaque faculté (voire même chaque DES). Veillez à bien respecter ces procédures ! Si votre sujet n’a pas été accepté par votre DES vous prenez le risque de ne pas pouvoir soutenir votre thèse.

Mon conseil : ne vous affolez pas, ce circuit peut sembler très chronophage mais ça n’est pas insurmontable. Sélectionnez au moins 3 sujets avec la Méthode SF et étudiez la biblio en lien, puis faites un point global sur l’ensemble des sujets avec votre directeur de thèse. Vous limiterez les aller-retours. Ne brûlez pas les étapes. Travailler la faisabilité sans méthodo ni même accord de principe de vos chefs ne peut que vous faire perdre du temps.

Conclusion

Choisir un sujet de thèse est une étape déterminante pour tout interne en médecine. Plutôt que de vous lancer dans un projet purement théorique ou trop personnel, privilégiez les sujets basés sur les problèmes que vous rencontrez dans votre pratique. Un sujet qui répond à une véritable question de terrain sera non seulement pertinent et utile, mais il vous motivera aussi à surmonter les défis inhérents à la réalisation d’une thèse.

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